Les Landes face aux feux de forêt : un héritage de catastrophe et d’urgente réinvention des stratégies de prévention
Le massif forestier des Landes de Gascogne porte les cicatrices d’une histoire marquée par des incendies dévastateurs. De l’incendie meurtrier de 1949 aux feux récents de 2022, cette région révèle les limites d’un modèle de gestion forestière face aux défis du changement climatique. L’urgence d’une réinvention des stratégies de prévention s’impose aujourd’hui comme une priorité absolue.
Un passé tragique qui hante encore le massif landais
L’incendie du 19 au 25 août 1949 demeure l’un des épisodes les plus tragiques de l’histoire forestière française. Cette catastrophe a ravagé 52 000 hectares dont 25 000 de bois et causé la mort de 82 personnes, principalement des sauveteurs, des fonctionnaires des Eaux et Forêts, des pompiers bénévoles et 23 militaires du 33e régiment d’artillerie de Châtellerault.
Le feu avait débuté au lieu-dit Le Murat, dans la commune de Saucats, probablement à partir de la cabane de la scierie Pioton. Les conditions météorologiques exceptionnelles – trois étés caniculaires consécutifs et une sécheresse persistante – avaient créé un environnement particulièrement inflammable. Au cours de l’année 1949, le massif landais totalisa une dévastation record de 131 300 hectares, un chiffre jamais dépassé depuis.
Les feux de 2022 : un réveil brutal
L’été 2022 a rappelé la vulnérabilité persistante de la forêt des Landes. Le 12 juillet, un incendie dans la forêt usagère de La Teste-de-Buch a embrasé plus de 7 000 hectares, nécessitant quinze jours de lutte acharnée. Au total, 32 000 hectares du massif ont été ravagés lors des incendies de 2022, soit quatre fois moins qu’en 1949 mais révélant néanmoins la fragilité du système.
Pierre Massé, directeur de la DFCI Aquitaine (Défense des forêts contre l’incendie), dresse un constat alarmant : « Ces incendies sont devenus des réalités récurrentes. Ils ne sont plus exceptionnels mais tendanciels. Avec la hausse des températures et les périodes de sécheresse prolongées, on va vers une fréquence accrue des feux. »
Un modèle de gestion forestière en question
La forêt des Landes présente des caractéristiques qui accentuent sa vulnérabilité. Massif à 92 % privé, il est exploité en grande partie en monoculture de pin maritime, essence qui représente environ 75 % du couvert forestier. Cette homogénéité, si elle facilite l’exploitation industrielle, augmente considérablement les risques de propagation rapide des incendies.
La responsabilité de la prévention incombe principalement aux propriétaires forestiers, regroupés en 212 associations syndicales autorisées de DFCI avec près de 2 500 bénévoles actifs. Cependant, les obligations légales de débroussaillement (OLD) sont souvent mal appliquées. Pierre Massé rappelle l’exemple de Saint-Jean-d’Illac en 2015, où un industriel avait refusé de se conformer aux obligations jusqu’à ce que 700 hectares partent en fumée.
L’innovation technologique au service de la prévention
Face à ces défis, de nouvelles approches émergent. L’entreprise Kayrros, spécialisée dans l’intelligence artificielle et l’imagerie satellitaire, développe des outils de prévention innovants. Mathilde Allençon, cheffe de projet climat chez Kayrros, explique : « La prévention est encore perçue comme coûteuse. Notre rôle est de la rendre visible, mesurable et utile. »
L’entreprise collabore avec les sapeurs-pompiers du sud de la France pour détecter les zones non conformes au débroussaillement grâce aux images satellites de la NASA et de l’ESA. Ces données permettent de produire des cartes en temps réel des zones à risque et de modéliser la propagation des incendies sur 48 à 72 heures.
Les enjeux de la pression démographique
La situation se complique avec l’augmentation constante de la pression démographique sur les zones à risque. Les 327 communes du département des Landes sont exposées au risque d’incendie de forêt, et la proximité croissante entre zones urbaines et massif forestier multiplie les dangers.
Selon l’Insee, les 885 communes littorales de métropole accueillent près de 12 % de la population sur seulement 4 % du territoire. Cette concentration, particulièrement marquée sur le littoral landais, augmente la vulnérabilité des populations et complique les interventions d’urgence. Il faut rappeler que 90 % des départs de feu sont d’origine humaine.
Vers une gestion forestière repensée
L’urgence impose une refonte profonde du modèle forestier landais. Le changement climatique remet en question la viabilité de la monoculture de pin maritime. « Le pin maritime est résilient, mais jusqu’à un certain point. On commence à tester d’autres variétés, voire à introduire des feuillus, mais cela reste marginal », reconnaît Pierre Massé.
La forêt usagère de La Teste, rescapée d’une sylviculture standardisée, illustre une voie alternative où le droit d’usage prime sur la rentabilité industrielle. Cette approche, rare en France, pourrait inspirer une gestion plus diversifiée et résiliente.
Les défis de la mémoire collective
Un obstacle majeur à la prévention demeure la courte mémoire collective. « Deux ans après un incendie, nous constatons que l’on oublie déjà les leçons », déplore Pierre Massé. Cette amnésie récurrente compromet la pérennisation des efforts de prévention et la sensibilisation des populations.
Pour contrer cette tendance, les autorités ont développé des outils pédagogiques, notamment le guide pour la prise en compte du risque incendie de forêt dans le massif forestier des Landes de Gascogne, élaboré en 2011 en partenariat entre l’État, l’association des maires des Landes, le SDIS 40, la DFCI Aquitaine et la chambre d’agriculture des Landes.
L’impératif d’une approche systémique
La protection du massif landais nécessite une approche globale intégrant prévention, surveillance et intervention. Pierre Massé prône une gestion active, préventive et systémique, intégrant le changement climatique et la pression démographique croissante. Il met en garde contre certaines visions d’ensauvagement total qui pourraient accumuler du combustible et rendre la lutte impossible dans certaines zones.
L’enjeu dépasse la simple protection forestière. Le bois conserve un rôle stratégique dans la construction, la chimie verte et la substitution au plastique. Mais cette valorisation doit s’accompagner d’une sylviculture à couvert continu, avec un mélange d’essences et de classes d’âge permettant un renouvellement naturel.
Face à l’ampleur des défis, la sécurité repose sur une hiérarchisation claire des priorités : protection de l’humain, du bâti, puis de la forêt. « Le feu n’est pas une fatalité », conclut Pierre Massé, mais la vigilance et les investissements nécessaires doivent s’inscrire dans la durée, bien au-delà des vingt-quatre mois qui suivent généralement une catastrophe.
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